Lac de Pradeilles (Pyrénées Orientales)

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Ce blog comme une promenade entre amis… On pourra donc lire ou écrire, admirer la nature, ramasser des cèpes ou des morilles , pêcher à la mouche, jouer au poker, parler médecine, littérature, actualité,ou même de tout et de rien comme le font des amis en fin d'une belle journée de randonnée...

dimanche 16 janvier 2011

Paris

            Je n'étais pas allé à Paris depuis au moins 3 ans. Le prétexte ici était l'expo Basquiat dont je vous ai parlé. Très beau choix de tableaux, qui permet de mieux comprendre l'engouement pour ce jeune artiste issu de l'art de la rue. Graffiti, certes, thèmes et symbolisme assez enfantins en général (noir, esclavage,  rois nègres, New York, boxe, jazz, homme condamné à mourir), mais aussi spontanéité éclatante, talent évident de peintre dans l'équilibre remarquable aussi bien des couleurs que des motifs représentés…
             Paris… J'adore marcher dans cette ville, et quand on arpente ses rues on rentre parfois aussi fatigué qu'après une randonnée en montagne… Par chance il faisait doux en plein mois de Janvier, peu de vent, presque pas de pluie, et l'épreuve habituelle qui consiste à grelotter dans la rue, plonger dans le four surpeuplé des rames de métro, en ressortir moite pour affronter les rafales glacées des couloirs interminables puis de nouveau la pluie transfixiante à l'"air libre", a épargné parisiens et touristes… Peut être est ce pour cette simple raison que j'ai trouvé cette fois la foule, en apparence plus cosmopolite d'année en année, un peu moins effrayante d'indifférence mécanique et de douleurs silencieuses… Un temps clément, la perspective peut être aussi de dénicher l'affaire du siècle dans les avalanches de soldes …Plus de sourires, plus de paroles, même si en général destinés aux téléphones portables collés sur tant d'oreilles comme autant de coquillages métalliques… Même s'ils ne vous parlent pas ou ne vous sourient pas, à vous, les gens vous prouvent au moins qu'ils savent encore le faire… Bénéfice inattendu de cette téléphonite généralisée…
         J'adore marcher dans Paris, donc, je me fiche éperdûment du shopping personnellement, mais l'esthétique de ses bâtiments splendides truffés de références historiques tous les 50 mètres reste exceptionnelle, et puis c'est en marchant le nez en l'air que j'ai parfois l'impression de "prendre le pouls" du pays… La France ne va pas très bien depuis quelques années, et j'avais peur de voir fleurir partout les campements de cartons des SDF que "la crise" avait dû multiplier… Je n'en ai pas vu énormément, en tout cas moins qu'à Manhattan New York, où chaque angle de rue ou presque est squatté par un malheureux dont tous les biens tiennent dans un chariot de supermarché… Je n'en tire aucune conclusion bien sûr, la police ayant probablement travaillé dur pour éloigner du grand centre le spectacle de la misère… Comme elle a dû oeuvrer pour supprimer la mendicité aux feux rouges, qu'on rencontre encore assez souvent en province… Quelques années auparavant, c'était simple, chaque feu de croisement réclamait sa pièce… L'euro n'était pas encore notre monnaie, et j'avais écrit à ce sujet cette nouvelle, déjà parue en revue (Le Matricule des Anges, une excellente revue par ailleurs)…

                                    ROUGE LE FEU



Donc à ma gauche un mec jeune pas si mal fringué sur l'îlot directionnel en ciment. Plein soleil, un carton encadré dans les bras: "deux ou trois francs pour vivre", et, en plus petit, "accepte n'importe quel travail".

Donc ne mendiant pas. Le type de la file de droite en Mercedes un peu en arrière, anticipant déjà le feu vert. Moi le pied sur l'accélérateur itou,  pour empêcher le moteur de la Fiesta d'étouffer. En sorte qu'à nous voir un peu d'inattention pourrait faire croire à une course imminente, d'autant que derrière nous les voitures se rangent sagement comme sur une grille de départ. Tous trois au premier rang ainsi petitement occupés, d'humeur maussade, l'un sans ressources, l'autre sans vis platinées, le troisième contrarié par les feux rouges, ou autre chose. En tout cas fixant l'horizon, où l'horizon ? Moi regardant l'homme sur son île comment faire autrement, pensai-je, il est juste à côté.

Le jeune homme sur son plot cimenté dirigeant alors ses yeux vers moi. Non vers la victime d'un garagiste charlatan (vis platinées, bougies, deux fois changées durant le dernier mois), mais vers le détenteur supposé de "deux ou trois francs ". Deux ou trois francs par feu rouge, une jolie somme en fin de journée. Surtout après les notes du garagiste. Ami, l'effort que vous réclamez de moi, je le concède, n'a rien d'excessif de votre point de vue. L'îlot directionnel est exigu, et vous êtes son seul habitant. Nonobstant, le trajet jusqu'à ma modeste demeure ( le véhicule en avant-goût de la banalité du domicile ), ce trajet, dis-je, comporte trente sept feux, rouges deux fois sur trois, d'où trente sept bornes de séparation des voies, et, en dépit d'une chaleur lourde, disons quinze sollicitations tout aussi raisonnables. Aller, retour, ceci tous les jours, je ne peux pas suivre vous le comprendrez. Expliquez-moi plutôt pourquoi votre regard s'arrête, alors qu'une translation de quelques mètres découvrirait une source potentielle de revenus largement supérieure.

Derrière nous les voitures s'empilent avec une morne lenteur.

De fait l'homme ne s'attardant pas sur moi, ne translatant pas non plus vers la Mercedes. Flottant plutôt sur l'empilement de voitures. Merde, revenant sur moi. Un jour, un type, dans une ruelle, plombé jusqu'à la mœlle: "T'as pas cent balles, mon pote ? Deux cents balles ? T'as pas mille balles, ou bien cinq-cent-mille balles ? "Suivi d'un rire tonitruant et les passants dont moi, encore un jour d'été, dispersés dans le souffle de l'explosion… Deux ou trois francs, pour vivre mon œil, à moins que  soixante à cent automobilistes par jour dans la glu d'un feu rouge… Un coup d'œil dans le rétroviseur, celle qui est derrière moi arbore "Macadam" en caducée protecteur. J'ai trente deux francs dans ma poche gauche, trois pièces de dix, une pièce de deux. Répare cette bagnole pourrie, et ils sont à toi mon garçon, mais non, je rigole, le marché n'est pas honnête. N'empêche, n'importe quel travail…

La Mercedes: Hep! jeune homme ! un poste est vacant dans mon entreprise, directeur du personnel, OK ? tope là, voici ma carte…

Hélas, la Mercedes est dans la file de droite…

Donc quoi ? Extraire de mon jean la pièce de deux francs, tout en maintenant une pression modérée du pied sur l'accélérateur ? Ou te dire non les yeux dans les yeux ? Ou fixer l'horizon en guettant le passage au vert.

Comme fait très bien la Mercedes.

Feu vert ! Et paf, la Fiesta chiant dans la colle…

Donc moi, moteur calé, cinquante voitures coincées derrière. En clair toute la file de gauche. Le jeune homme essuyant tout à coup la sueur de son front d'un geste assuré, déposant son carton sur l'asphalte. Moi triturant piteusement la clé de contact d'une Ford agonisante.

La vie en retours de bâton. Non l'ami, simple panne, un moteur noyé, un défaut d'allumage, chacun ses problèmes, ne t'inquiète pas. 

Lui disparaissant brutalement de mon champ visuel. Moi n'osant pas chercher dans mon rétroviseur un visage maintenant familier, crispé dans l'effort de pousser la Fiesta. M'extrayant à grand-peine, et l'oreille déchirée par des klaxons à vif, de ce tas de tôles encore une fois privé de vie. . Montrant furieux la file de droite où la Mercedes a laissé place nette. Remarquant alors le jeune homme, non pas arc-bouté selon mes craintes au coffre de mon tacot, mais bien plutôt, stimulé par l'aubaine, encouragé par cet embouteillage, beaucoup plus mobile, papillonnant d'une voiture à l'autre, remerciant une bonne demi-douzaine d'automobilistes empêtrés dans la file de gauche de leur générosité spontanée. Du coup, moi, remontant dans la Fiesta pour une dernière tentative au contact, à ma surprise couronnée de succès.

Entre temps, de nouveau rouge le feu. Retour du type sur son îlot,  appréciant au toucher sa récolte.

Donc écrasant avec une sorte de rage, pour ne pas subir nouvelle mésaventure, la pédale rouillée de l'accélérateur. Et à ma droite, silencieuse mais prête à bondir, décidément, une autre Mercedes…

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