Lac de Pradeilles (Pyrénées Orientales)

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Ce blog comme une promenade entre amis… On pourra donc lire ou écrire, admirer la nature, ramasser des cèpes ou des morilles , pêcher à la mouche, jouer au poker, parler médecine, littérature, actualité,ou même de tout et de rien comme le font des amis en fin d'une belle journée de randonnée...

dimanche 3 juillet 2011

Vacance(s)




                   Hier matin j'étais à la plage. Encore peu de touristes, la plupart étant sur les routes… La plage était belle et propre, avec une poubelle posée sagement tous les 50 mètres en gardienne de cette propreté… Eh! bien à quelques mètres un couple avec un bébé en quittant les lieux a laissé sur le sable une bouteille plastique, une couche sale et un mouchoir en papier… J'ai dû, m'en apercevant trop tard, me charger de les éliminer… Nos soucis écologiques élémentaires  ne semblent pas progresser à pas de géant… 

                  Une petite pensée en ce début Juillet pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances (45% des français cette année quand même…), pour ceux qu'on abandonne pendant les vacances, pour ceux qui ne savent pas prendre de vacances, pour ceux qui lâchent prise pendant les vacances. Ces derniers sont plus nombreux qu'on imagine, et il n'est pas si rare que le médecin soit amené à rendre visite à une personne âgée (le plus souvent mais pas toujours) qu'il va découvrir dans un taudis, survivant dans des conditions d'insalubrité totale…Au pire on obtient le syndrome de Diogène, dont une variante est proposée dans cette nouvelle
                                                                    VACANCE

              Le premier Juillet, François Chaumel, vous êtes en congés pour un mois.  Cela vous revient à neuf heures moins vingt quand vous poussez le lourd portail d'entrée de la banque qui vous emploie depuis dix huit ans au service comptable.

              Déconcerté par cette étourderie, votre geste reste en suspens, à la sauvette vous vérifiez que personne ne vous a vu. Une pensée vous rassure: vous précédez toujours d'environ cinq minutes le caissier, seul avec vous-même à pointer en avance. Nul doute que vous ne sauriez vous empêcher de rougir sous les quolibets des collègues, pas plus que vous ne pourriez sans honte croiser le regard hautain de mademoiselle Longuet, la nouvelle stagiaire du secrétariat, celle dont vous admirez en silence les toilettes extravagantes...

              Fort heureusement, le hall de la banque est désert, et comme il faut perdre d'habitude deux ou trois minutes à persuader le concierge de quitter son café-crème pour ouvrir les bureaux, ce ne sera pas lui qu'on prendra jamais à guetter derrière les vitres de la loge...
               François Chaumel rentre donc chez lui, musarde, s'allonge, ouvre un livre, et s'endort jusqu'à midi.  Il déjeune ensuite frugalement, et s'accorde un verre de vin cacheté.  Avec le sentiment délicieux de s'encanailler ( après tout, n'est il pas en vacances ? ), il repousse à plus tard le nettoyage d'une poêle et d'une assiette.  Dehors, le chaud soleil qui avait fait de Juin un mois d'été précoce a laissé place depuis la veille à un tapis borné de nuages tièdes et gris.  La télévision ouvre une fenêtre colorée à laquelle il ne résiste pas.  Assis confortablement devant les images d'un monde tumultueux dont la violence rend plus paisible son appartement de célibataire, il glisse dans l'intrigue d'une série américaine.  La troisième peu avant dix-huit heures a raison de sa vigilance.  Il se rendort.  Le soir il n'a pas faim.  Un moment il s'ennuie, et finit par s'installer sur son balcon, pour suivre les virevoltes des martinets dont les ailes rayent le nonchalant crépuscule.  Plus tard il habille son lit de draps neufs imprégnés de lavande, et replonge dans un sommeil sans rêves.

              Pendant trois jours le temps reste maussade, monsieur Chaumel, et vous restez chez vous, guettant les jeux télévisés de midi et l'une des séries américaines.  Quelle aubaine, cette liberté nouvelle pour mettre enfin de l’ordre, comme vous vous le promettiez depuis longtemps, dans la confusion des placards de votre appartement de célibataire.

             Seule la vaisselle ( n'est-il pas en vacances ? ) s'accumule.  Couche-tôt, il dort beaucoup, sans être dérangé par le téléphone ou par un visiteur, puisqu'il n'a ni famille, ni amis.
           Le quatrième jour, un rayon de soleil le persuade d'aller reconstituer les réserves de son frigo.  Il se rend au supermarché, dans la poche une liste, dans la tête une envie de sucreries et de vin cacheté.
           Un simple détour pourrait le faire passer devant la banque, mais il se ravise en se rappelant mademoiselle Longuet apportant parfois du bistrot voisin une tasse de café pendant les heures de travail ( Comment pourrait-il garder son sang-froid ? ).
           Au magasin, la gérante, madame Jonas, l'accueille d'un regard bienveillant.  Que cet homme jeune, sans embonpoint, non fumeur et d'une exquise politesse n'ait pas encore trouvé la femme qu'il mérite est pour elle un mystère autant qu'une injustice.  Seule la certitude qu'un fonctionnaire modèle serait choqué de son indiscrétion l'a toujours empêchée de le questionner à ce sujet.  La vie réservait de ces incongruités, qu'il valait mieux peut-être, après tout, ne pas approfondir( Mais la curiosité ? Pouvait-on réfréner la curiosité ? ).
           Dans le supermarché presque désert, ils parlent comme souvent du temps qu'il fait, du prix des marchandises, comme tous les êtres que la timidité oblige à exprimer par des banalités la sympathie qu'ils éprouvent spontanément.

          Cette fois-ci pourtant, monsieur Chaumel, vous ne consultez pas votre montre à cette manière d'élève pris en faute qui vous rendait attendrissant, Vous avez d'ailleurs fureté dans des rayons que d'ordinaire vous ne regardiez pas, sans acheter pour autant de denrées inutiles, ( un homme pondéré devient-il brusquement excentrique ? ), et cette nouvelle façon que vous avez de prendre votre temps autorise madame Jonas à poser une question qui titillait ses lèvres:

- “ Alors, monsieur Chaumel, on est en congés ?”
           Lorsqu'il acquiesce, elle ne se retient pas de pousser l'avantage:
- “ Et quels projets pour ces vacances ?”
            Dans sa tête le rêve s'est déjà mis en action.  En femme du peuple, pour qui le travail est un devoir autant qu'une fatalité, elle rend magique le mot vacances. Elle imagine Chaumel en voyage, prenant le train pour un club de tourisme paradisiaque.  Sans doute irait-il à l'étranger, peut-être franchirait-il les mers, qui peut dire qu'il ne serait pas accompagné ?
           Mais son client lève sur elle des yeux neutres, dans lesquels elle ne lit aucune excitation.  Il répond avec gentillesse:
- “ Oh! rien de spécial madame Jonas, ce sera bien vite passé.  Il y a tant à faire à la maison pour le célibataire que je suis, et puis, vous savez, je suis un brin casanier."
         Honteuse d'avoir lâché si précipitamment la bride à son imagination, elle se trouble, et se tait.  En rendant sa monnaie, elle se désole d'avoir ainsi laissé la conversation tomber.
- “ A bientôt, monsieur Chaumel!”
- “ A bientôt, madame Jonas! “

           Vos yeux neutres l'intriguent.  Sans gaieté bien sûr, mais aussi sans tristesse, un vide dont elle fait , c'est une révélation, l'au delà d'une souffrance muette.  Et l'évidence l’éblouit alors que cette solitude cachait, angélique pudeur, un grand amour malheureux...

           Au même instant, Véronique Longuet claque avec élégance son talon aiguille sur l'asphalte de l'avenue Clemenceau, qui mène à la mer, et aussi au salon de coiffure auquel elle est restée fidèle depuis deux semaines entières.  Que n'avait-elle dû raconter à ce mollusque de directeur pour arracher cet après-midi de liberté ! Tout çà pour faire retoucher sa coiffure sans y perdre son samedi...
            Le talon aiguille percute rageusement le sol du trottoir, pour préciser le sentiment qu'elle éprouve pour son supérieur.  Quelle tristesse que tous ces fonctionnaires perpétuellement appuyés sur des colonnes de chiffres pour ne pas tomber ! Comme celui-là, du service comptable, qu'elle aperçoit sur le trottoir au loin, elle l'a bien reconnu, avec son air de chien battu et sa démarche de caniche.  Bah! il ne s'avisera pas de cafter auprès du directeur ! Elle entre dans le salon de coiffure en rejetant d'un ample et gracieux mouvement de défi sa lourde chevelure.

              François Chaumel, c'est clair, vous avez reconnu mademoiselle Longuet. Votre coeur frémit, palpite comme un oisillon frileux.  Vous envisagez de traverser la rue, pourquoi pas de rebrousser chemin...

             Mais il voit la robe jaune ( les robes qu'elle ose porter sont toujours tellement colorées ) pénétrer dans un magasin.  Ses joues s’empourprent à chacun de ses pas.  Lorsqu'il arrive à hauteur du salon de coiffure, il jette un regard furtif à l'intérieur, et devient cramoisi en s'inclinant machinalement pour saluer. Quelques mètres plus loin, il réalise que mademoiselle Longuet lui tournait le dos.  Alors seulement dans sa poitrine les palpitations se calment, ses pas perdent leur rythme trébuchant.  Au bout de l'avenue Clémenceau, il s'enhardit jusqu'à risquer un oeil par dessus son épaule, avant de traverser le carrefour...

             Le reste de la journée est une convalescence.  Vous peinez, Chaumel, à oublier l'élégante silhouette entr’aperçue de Véronique Longuet.  Ce n'est certes pas la première fois que vous pensez à elle, souvent dans le travail votre esprit s'égare au dessus d'un dossier, batifole derrière un parfum, la musique d'une voix, le camée d'un profil. Mais en règle la pensée parasite discrètement s’efface sous la pression d'un calcul de bilan, la crainte d'une remarque, ou l’urgence d'un client.

              L'oisiveté présente au contraire caresse sa rêverie, la réchauffe, la dilate en édredon dans lequel il s'étire avec délectation, puis se vautre, enfin s'étouffe et se panique.  Il ne se décide pas à prendre son repas, tourne en rond, s'agace, hésite et pour un peu ressortirait.  Par chance, le premier épisode d'un nouveau feuilleton télévisé soulage en partie son après-midi du malaise impalpable qui l'englue.  Mais le soir le malaise revient, puis l'insomnie, enfin une somnolence agitée de songes étranges, dont le cadre est la banque, et où mademoiselle Longuet s'adresse à lui en se bouchant le nez...
              Le lendemain, une odeur de pourriture le surprend au réveil.  Dans la cuisine où s'entasse la vaisselle d'une semaine, tous les déchets accumulés s'ornent d'une barbe de moisissure.  Il enferme avec dégoût le tout, assiettes, couverts et détritus, dans de grands sacs poubelles en plastique qu'il aligne en ordre le long du mur. Il ouvre largement la fenêtre, ferme la porte à double tour.  Véronique Longuet a pour l'instant cessé de le tourmenter.

              Les congés du comptable Cbaumel reprennent leur cours paisible. Le temps n'incite guère à sortir. Un temps humide et doux, grisaille monotone, trop chaud pour un printemps, trop gris pour un été. Vos journées s’organisent, le matin bricolage, lecture, rangements, après-midi télévision.  Les rares visites en ville sont pour le supermarché.  Madame Jonas s’étonne de vous voir emplir votre panier de toasts, cacahuètes, laitages, biscuits secs...

             C'est qu'il grignote.  Chaque jour il se promet de nettoyer à fond sa cuisinette et chaque jour remet à plus tard le moment de rencontrer l'odeur.  Il s'est acheté des couverts en carton, un camping gaz sur lequel il réchauffe parfois une boîte de conserve ( madame Jonas n'a pas osé l'interroger, sur le camping ... ) mais la plupart du temps biscuits et amuse-gueules lui suffisent.  Le soir rapidement il rassemble les restes dans un sac en plastique, et entrouvre à la sauvette la porte de la cuisine pour y jeter le sac avec les autres.  Il referme ensuite à double tour, inonde le bois de vapeurs de lavande.
            A plusieurs reprises durant ce mois de Juillet, François Chaumel rencontrera Véronique Longuet, du moins en sera-t-il persuadé.  Immanquablement, ses joues s'enflammeront, son coeur s'emballera, mais le temps pour lui de recouvrer ses esprits, elle aura disparu...

            Chacun sait combien courtes sont les vacances, même quand on les étire dans un subtil ennui, même quand le temps s'entête à s’habiller de gris.  Le premier Août, Cbaumel, vous reprenez du service avec la ponctualité qu'apprécient vos employeurs,  au mépris de la canicule subite , de son soleil implacable.  Un employé de banque doit-il prendre prétexte du climat pour supprimer la veste et surtout la cravate ?

              François Chaumel est toujours impeccable.
            En ouvrant ses premiers dossiers, il cherche à la dérobée une tache de couleur qui localiserait mademoiselle Longuet.  Mais celle-ci, dont le stage est terminé, a quitté la banque.  Bizarrement, très vite il n'y pense plus.  Il travaille beaucoup, avec une rigueur qui lui vaut des remarques flatteuses.  Rien n'a changé.  Seule, madame Jonas comprend de moins en moins les achats de son client: plus de vin cacheté, rien que des " grignotages ", et puis des boîtes de lait, des quantités de boîtes de lait. Elle n'ose rien dire.  D'ailleurs, monsieur Chaumel ne lui adresse presque plus la parole.  Il a l'air absent.  Elle trouve qu'il a grossi, plutôt qu'il a "bouffi".  Les yeux neutres maintenant l'intimident.  Elle est inquiète en silence, pour sa santé.
            Véronique Longuet cependant n'a pas disparu.  Chaumel la retrouve la nuit, dans tous ses rêves, des rêves agités, de plus en plus déroutants.  N'aura-t-elle pas l'impudeur d'y apparaître nue?
          Il se réveille cette nuit là en sueurs, hagard, terrorisé par des draps empesés d'une liqueur épaisse qu'il avait oubliée depuis l'adolescence.  Dans la dernière image du rêve, Véronique Longuet, nue, se pinçait le nez...

            En hâte vous vous levez, arrachez vos draps avec violence, les mettez en boule, pour les jeter dans la cuisine condamnée.  Il n'y a plus de place, la pièce est bourrée de sacs poubelles d'où s'échappent des relents pestilentiels que la chaleur aggrave.  Obligé vous êtes de grimper sur les sacs gonflés de détritus.  Des centaines de mouches bourdonnent autour de vous, cognent à votre visage, collent à votre peau...

          Il tremble.  Il crie.  Il  referme  cette  porte  de  l'enfer.  Il vomit.  En grelottant malgré la chaleur étouffante, il nettoye le sol avec des chiffons.  Il crie.  Il frotte le sol de toutes ses forces.  Oh! ces odieux chiffons ! Jamais il ne pourra rouvrir cette porte.  Il trouve une bouteille d'alcool.  Mettre le feu.  Nettoyer par le feu.  Il arrose la porte, il arrose les chiffons, il s'arrose des pieds à la tête.  Il crie. Il craque une allumette.  Il n'entend pas qu'on fracasse l'entrée.
            Ne voit pas les pompiers.

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